LES INVERSIONS DE TENIERS

David Teniers, le jeune
PAS DE TENTATION !

 



Une part importante de l'œuvre de Teniers est composée de reproductions de la galerie de tableaux de son employeur, l'archiduc d'Autriche Léopold -Wilhelm.

Il y a là l'occasion rêvée de dissimuler bien des choses, tout en dispersant ces informations réservées aux éventuels élus, puisque ces toiles étaient en somme une publicité offerte par l'archiduc.

Le but du travail qui suit est donc annoncé ici : on remarque dans les travaux de Teniers des inversions en miroir, phénomène récurrent dans tout ce mystère, et nous cherchons, avant de tenter une interprétation, à démontrer qu'elles sont bien volontaires.

 

Nous comparerons d'abord deux tableaux de Teniers. L'un daté de 1651  et se trouve à Petworth House:


https://classconnection.s3.amazonaws.com/471/flashcards/2744471/jpg/archduke-leopold-s-gallery-16511363641691571.jpg

Galerie 1

L'autre daté lui aussi de 1651, est au Kunst Historische muséum de Vienne.


http://www.leosart.narod.ru/images/fla/Tenirsmlad/001.jpg

Galerie 2

Lequel précède l'autre, je l'ignore, je garderai cet ordre arbitraire, ce n'est pas important ici.

 

Pour sauvegarder un peu de clarté dans cet exposé, nous désignerons les tableaux de Teniers montrant l'ensemble de la galerie comme "Galerie" avec une majuscule, soit ici Galerie 1 et Galerie 2, le terme "tableau" avec une minuscule s'appliquant aux œuvres individuelles composant la galerie de l'archiduc.

 

La ressemblance entre Galerie 1 et 2 est frappante, mais il y a plus :

 

Nous allons apporter quelques modifications à Galerie 2 :

Une légère rotation pour rendre horizontale la limite supérieure des tableaux exposés. L'ajout d'une bande extérieure gauche pour le recentrer horizontalement.

Le découpage d'une bande supérieure pour supprimer la portion excédentaire de plafond. Enfin l'ajout d'une bande inférieure de quelques pixels pour le recentrer verticalement. Ces manipulations n'entraînent absolument aucune déformation de l'image, la distance relative entre deux points quelconques restant inchangée.

Maintenant les Galerie 1 et 2 sont tout à fait superposables, pratiquement pour l'ensemble des tableaux exposés.

Voir ici la superposition presque parfaite de ces deux tableaux, réalisée par mes soins :

Superposition de la Galerie 1 et 2


QUAND L´EGLISE APPARAIT L´ARTISTE DISPARAIT !

Les différences essentielles portent sur les personnages, l'archiduc et ses assistants sont légèrement décalés, un corpulent ecclésiastique n'apparaît que sur le "Galerie" 1, par contre le personnage de Teniers (c'est très vraisemblablement lui car les experts en peinture nous disent qu'il figure sur ces tableaux) apparaît fortement déplacé, il est dédoublé.

 

Les personnages de Galerie 2 semblent avoir été recopiés sur Galerie 1 ( ou l'inverse), il est douteux qu'ils aient repris la même pose. L'ecclésiastique a sans doute posé séparément, ou a été esquissé rapidement puis retravaillé ensuite.

 

Que penser tout d'abord de cette similitude "photographique" des 2 Galeries ?


CAMERA OBSCURA ?

 

Nous pensons avoir établi de façon hautement probable que Teniers ne s'est pas contenté d'un dessin à main levé, dont la précision n'aurait pas été suffisante pour obtenir la superposition parfaite démontrée ici. L'utilisation de la camera obscura, bien connue à cette époque permettrait une telle précision, mais il se trouve que les proportions respectives de certaines toiles sont fortement modifiées.

Le tableau "les trois philosophes" de Giorgione ( voir aussi VITRVVII =THREE MASTERS ou Vinci et le 666)

est situé en haut à gauche du panneau principal.  (il s’agit bien du tableau attribué unanimement à Giorgione et qui se trouve aujourd’hui au musée de Vienne, et non d’une copie par Jan Van Troyen qui était un graveur, et qui réalisa de nombreuse planches pour l’ouvrage de Teniers, le « Theatrum Pictorum » qui en comporte 243, les tirages réalisés à partir de sa gravure sont donc fort logiquement inversés).

 

L'original de ce tableau de Giorgione fait 124 cm de hauteur, l'original de "la mort d'Actéon" par Titien, reproduit à droite sur la même rangée fait 179 cm de hauteur, soit pratiquement 50% de plus, pourtant sur l'image dont je dispose les deux toiles font 112 pixels de hauteur. Ce changement d'échelle a évidemment pour but d'éviter un décalage entre les toiles, donnant ainsi artificiellement un aspect de plénitude et d'harmonie à la collection.
 

Dans ce cas, la camera obscura devient inutilisable, la seule technique possible est l'élaboration d'une ébauche, une galerie idéale ou les tableaux sont de même hauteur dans chaque rangée. Les dimensions respectives des toiles, 123/163 cm pour Galerie 1 et 127/162,5 cm pour Galerie 2 sont parfaitement compatibles avec le report d'un « canevas » unique, compte tenu en particulier des espaces supérieur, inférieur, et latéral gauche qui sont de facture très simple. Teniers disposait donc d'une certaine latitude pour plaquer son canevas, ce qui expliquerait le léger décalage que nécessite la superposition parfaite des deux œuvres.



INVERSION EN MIROIR

Une fois ce complexe canevas reproduit sur sa toile, Teniers a dû remplir les cadres vides en reprenant ensuite les tableaux un par un. Si nous regardons de plus près, une chose est intéressante : un ou peut-être deux tableaux de la rangée inférieure de droite ont changé, alors que tout le reste est strictement identique.

 

La définition de l'image de Galerie 1 étant assez faible, il n'est pas évident d'affirmer que le tableau a moitié dissimulé par le plantureux religieux ait été changé (premier tableau à gauche de la rangée inférieure). Si la pose est identique, la superposition semble défectueuse.

Par contre pour le troisième tableau de cette rangée, c'est évident.

Sur "Galerie" 1 nous voyons à cet emplacement un tableau de Giovanni Batista Moroni, qui représente un oratorien, G.P. Maffeis sans que cette identification soit certaine pour les experts.

 

Sur "Galerie" 2, c'est maintenant un autre tableau de Moroni, le sculpteur Alessandro Vittoria.


 

Pourquoi toute cette argumentation pour une différence insignifiante, et tout a fait normale?

 

Parce que cette comparaison nous donne des indications précieuses sur la méthode de travail de Teniers, s'il emploie effectivement des artifices, ce n'est pas pour faciliter son travail et en faire un grossier travail à la chaîne, mais pour le rendre plus harmonieux.

 

Que la répartition des tableaux puisse être modifiée dans la galerie, c'est une évidence que démontrent d'ailleurs les autres "Galeries" de Teniers . J'ai déjà recensé 10 représentations différentes voire très différentes de cette galerie que Teniers était aussi chargé d'enrichir.

 

Teniers fit indépendamment une reproduction isolée de cette toile du sculpteur de Moroni, mais elle est INVERSEE EN MIROIR.


Il pourrait s'agir d'une erreur de manipulation de l'image sur le site où je l'ai trouvé, cela arrive parfois, mais nous allons voir que ces inversions en miroir sont un phénomène récurrent chez Teniers, c'est indiscutable du fait que la réunion de tableaux inversés et non inversés sur une Galerie donne une certitude totale sur ce point. L'original de Moroni est lui aussi à Vienne, la copie de Teniers à Londres (galerie Courtauld )

 

Ces inversions pourraient avoir une explication des plus simples : Teniers a fait, ou fait faire par ses subordonnés, des "calques" des tableaux, certains ont pu être inversés sans qu'il s'en aperçoive. Notez que là je me risque un peu, j'ignore si cette technique de transparents pouvait être employée de façon satisfaisante à l'époque, mais c'est une hypothèse que je vais réfuter:

 

Envisageable, oui, mais ces calques ne lui auraient pas fourni les couleurs des tableaux, qui sont pour autant qu'on puisse en juger, compte tenu des dégradations du temps sur les originaux  eux-mêmes et sur l'œuvre de Téniers, assez bien respectées. D'autre part Teniers avait toute latitude pour s'installer dans la galerie ou en extraire un tableau pour le reproduire. Il lui fallait réfléchir devant le tableau pour l'adapter aux dimensions fixées, un calque en grandeur réelle ne lui aurait pas été d'un grand secours, et ne l'aurait aucunement dispensé de revenir contempler l'œuvre pour en restituer les couleurs.

 

Dans ce cas, une inversion peut difficilement être causée par la distraction ou la fatigue de l'artiste, elle est volontaire, c'est bien là le but vers lequel tend cette argumentation complexe. Reste à interpréter la raison de cette décision. Notons aussi que ces inversions ne touchent pas forcément le même tableau d'une Galerie à l'autre.

 

Clin d'œil de Teniers, confirmant pleinement cette hypothèse d'inversion volontaire : une autre Galerie, exposée à Stuttgart :


http://cfile2.uf.tistory.com/image/192EEE4C4E62B86A19C001


Cette Galerie  montre à l'extrême droite le tableau des "3 philosophes" en position inversée   ( nous avons déjà parlé de ce tableau ) et à l'extrême gauche, à la même hauteur, le dieu Janus aux deux profils. C'est là ce qui s'appelle annoncer la couleur.

Entre ces deux tableaux, une adoration des mages de Bassano, inversée elle aussi. Elle se trouve à Vienne.

 

Notons que les inversions de tableau concernent le plus souvent les rois mages

 

Mais après tout, ce travail répétitif quelque peu ingrat pouvait lasser Teniers et une petite fantaisie aurait été la bienvenue.

 

Certes, mais ce serait oublier que Teniers, directeur de la galerie, travaillait pour l'archiduc, qui aurait pu trouver à redire à ce que les reproductions ne soient pas fidèles à sa collection et le contraindre à une retouche humiliante. Si Teniers a fait de telles modifications c'est soit en accord avec l'archiduc, soit parce qu'il avait de puissantes raisons de le faire.

 

Les tableaux qui ont été inversés sont bien actuellement eux aussi au musée de Vienne, ainsi que je l'ai vérifié, la probabilité est donc très forte qu'ils aient été réellement en possession de l'archiduc, dont la collection fut plus tard ramenée en Autriche, et donc placés sous les yeux de Teniers et non pas tirés de sa culture picturale (éventuellement plus ou moins fidèle) pour étoffer la collection et satisfaire la vanité de son employeur, malgré ce qu'insinuent certains historiens d'art sans avancer la moindre preuve, ni le moindre exemple. Il faut croire que les reproductions de Teniers ne sont pas estimées si infidèles que certains veulent le dire, puisque l’on sait grâce à lui que le tableau de Titien intitulé Laura a été amputé de sa partie inférieure.



TOMBEAU MEROVINGIEN RETROUVE !

Quant à l'employeur de Téniers, c'est le frère de l'empereur d'Autriche, il s'appelle Léopold -Wilhelm et non Léopold-Guillaume, il a bien mérité de son pays en battant l'armée suédoise de Lennart Torstenson aux portes de Vienne en 1646 . Il est maintenant gouverneur des Pays-Bas, comprenant à l'époque ce qui est de nos jours la Belgique.

 

En 1653 il aura l'occasion de montrer son autorité sur ce territoire lorsque sera découverte à Tournai la tombe du roi mérovingien Childéric 1er, car il se fera livrer la totalité de son contenu. Chose intéressante à noter, cette tombe fut découverte "fortuitement" par un ouvrier sourd-muet. On croit rêver ! Cela rappelle assez bien les mineurs allemands qui dit-on travaillaient dans le Razès sans contact avec une population dont ils ne pouvaient se faire comprendre.

 

Teniers a-t-il examiné les objets extraits de cette tombe, lui que l'on voit manipuler des statuettes antiques ? Difficile d'en douter, impossible  en tout cas d'affirmer le contraire.                                                        

 

Cette plongée dans l'univers professionnel de Teniers nous invite à examiner maintenant son univers mental.

 

Si nous partons de l'hypothèse que Poussin et Teniers détiennent un secret et cherchent à le transmettre à qui pourra le déchiffrer, hypothèse basée il faut bien le dire sur un nombre assez restreint d'arguments, plusieurs questions doivent être envisagées :

 

Poussin et Teniers ont-ils découvert ce secret par eux-mêmes, ou l'ont-ils reçu d'un tiers ?


LA CLEF POUSSIN – TENIERS

Voila une question fort intéressante, même s'il semble très difficile d'y apporter une réponse.

Certains auraient pu par leur position être en contact avec les deux peintres, une personne voyageant beaucoup, très introduite dans le milieu de la peinture, du commerce d'art et d'antiquités, (ne dit-on pas que la fameuse lettre écrite à Fouquet par son frère évoquerait à mots couverts des fouilles sur un site ancien ?).

Un personnage tel que JACOPO STRADA, étonnant compromis entre Léonard de Vinci et Pierre Plantard, lié aux Habsbourg, antiquaire impérial, architecte talentueux, résidant en Italie puis en Autriche et enfin en Bohème conviendrait à merveille s'il n'était né un siècle trop tôt. Nous aurons pourtant à en reparler.

Loup des steppes               




* Dans La Lettre volée, Edgar Poe imagine une intrigue où un certain « D. », peut-être un frère du héros, le chevalier Auguste Dupin, vole à une dame de qualité une lettre compromettante. Pour la cacher aux policiers, qui surveillent ses allers-retours et fouillent son hôtel pendant son absence, il la met bien en évidence dans un tableau accroché au mur. L'aveuglement des policiers, à l'esprit médiocre, renvoie à l'aveuglement des hommes, incapables de saisir la perfection de l'intrigue de Dieu. Quant à « D. », Poe le décrit comme dominé par la fancy, au contraire du chevalier Dupin, qui finit par l'emporter, grâce à son imagination créatrice[].

 

La fancy , contraire de l'imagination créatrice, est une fantaisie délirante créant l'erreur, l'illusion , qui empêche de voir  la perfection de la création divine. Ceux qui sont marqués par elle, ont l´esprit aveuglé et  interprètent le monde en fonction de leur cœur, de leur propre tourment intérieur ; ils sont voués au néant par leur ambition prométhéenne.





SUITE : POURQUOI TRANSMETTRE DES SECRETS A DES PEINTRES ? par Loup des steppes